Cadillac Allante - Thomas URBAN (Version FR)
Le meilleur des deux mondes... ou pas !
Cadillac avait abandonné la production des cabriolets à la fin de l'année-modèle 1976, après que les autres divisions du groupe General Motors les aient également supprimés de leur gamme lors du millésime précédent. Les deux autres grands groupes de Detroit, Ford et Chrysler, ayant également fait de même quelques années auparavant. Outre une baisse de la demande pour ce genre de carrosserie (tous les Américains ne vivent, en effet, pas en Californie ou en Floride et n'ont donc pas souvent l'opportunité de profiter des joies de la conduite au grand air), les nouvelles normes en matière de sécurité rendent alors trop complexe et coûteuse aux yeux des constructeurs la production des cabriolets. Ainsi, lorsque le cabriolet Eldorado quitte la scène, au printemps 1976, l'Amérique croit alors dire un adieu définitif aux voitures décapotables.
Si plusieurs constructeurs proposeront, par la suite, des voitures découvrables, en reprenant, sous une forme identique ou sensiblement modifiée, suivant les cas, le principe du toit démontable Targa inauguré par la version éponyme de la Porsche 911, cela ne sera, toutefois, qu'une sorte d' »expédiant ». Après que le spectre ainsi que les effets les plus graves de la seconde crise pétrolière (qui avait éclaté suite à la Révolution iranienne, en 1979) se soient estompés, suite à l'assouplissement de la législation en la matière, les constructeurs commencent à réfléchir à l'idée de réintroduire des versions entièrement décapotables sur certains de leurs modèles. Même si, en dehors de quelques exceptions notables, ces nouveaux cabriolets seront, désormais, réservés aux modèles à vocation sportive (à l'image de la Camaro et de la Corvette chez Chevrolet et de la Firebird au sein de la gamme Pontiac).
L'Eldorado décapotable ayant, toutefois, représenté l'un des modèles les plus emblématiques de la marque Cadillac, avant sa disparition, il s'agit sans doute de l'une des raisons qui explique qu'il se doit décidé de commercialiser un nouveau cabriolet au sein de la division de prestige de la GM. D'autant que les marques de prestige européennes, telles que Jaguar avec la XJS et Mercedes sur la SL, n'ont pas manqué de profiter de l'abandon de ce marché par les constructeurs américains pour s'y faire une « place au soleil ». Inutile, cependant, de dire que cela ne va manquer de faire froncer les sourcils et grincer des dents au sein des dirigeants des grands groupes de Detroit, en particulier du plus grand d'entre-eux, à savoir General Motors. Lequel décide qu'il faut réagir, de manière, à la fois, rapide et efficace.
Contrairement à ce que l'on aurait pu penser au départ, le groupe ne va, toutefois, pas se contenter de proposer une simple version « découverte » du coupé Eldorado. Si celui-ci sera bien mis à contribution en prêtant sa plateforme, sous une forme sensiblement modifiée, c'est bien un modèle (en grande partie) inédit qui sera proposé à la clientèle. Celle-ci privilégie également les décapotables allemandes, anglaises ou italiennes du fait d'un style jugé plus moderne ou « dans le vent » que celui des modèles américains, dont les modèles de prestige affichent encore, pour la plupart d'entre-eux, des lignes encore très « baroques ». L'Italie faisant, depuis longtemps déjà, figure de référence dans le domaine du design automobile, c'est donc, assez naturellement, à un bureau de style italien que General Motors fera appel. Et pas n'importe lequel, puisqu'il s'agit du plus important d'entre-eux, à savoir Pininfarina. Il est vrai, que l'esprit de la direction de la GM, proposer au sein de la gamme un cabriolet portant la signature du styliste attitré de Ferrari ne pourra qu'attirer à ce nouveau modèle les faveurs d'une clientèle d'élite.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le célèbre carrossier turinois était sollicité par Cadillac, puisqu'il avait déjà réalisé la seconde version de l'Eldorado Brougham, présentée à l'occasion du millésime 1959. Ces premières Cadillac dessinées par Pininfarina ayant été conçues comme une version plus sobre des lignes « ultra-baroques » des modèles de ce millésime créés par Harley Earl (dont ce sera la dernière oeuvre avant son départ à la retraite). Lors de leur lancement (et contrairement à une conviction largement répandue), les lignes des dernières Cadillac des années 1950 furent loin de faire l'unanimité et qu'une part importante de la presse automobile comme du public critiqua leur extravagance trop prononcée. L'Eldorado Brougham dessinée par Pininfarina sera un échec commercial cinglant, avec seulement 200 exemplaires environ vendus entre 1959 et 1960. Ce qui explique aisément que Cadillac et General Motors décideront d'en rester là et, donc, de mettre de supprimer la berline Brougham de la gamme de la série Eldorado dès la fin de ce second millésime.
Si la carrosserie de la première génération de l'Eldorado Brougham (celle des millésimes 1957 et 58) était réalisée dans les ateliers du carrossier Fleetwood à Detroit, pour la seconde génération qui apparaîtra à l'occasion de l'année-modèle 1959, il en sera toutefois différemment, puisque le constructeur décidera donc d'en confier la réalisation à Pininfarina. C'est donc près de Turin, dans le nord de l'Italie, que les carrosseries seront façonnées et montées sur les châssis expédiés, d'abord par la route et ensuite par bateau depuis Detroit, avant que les voitures ainsi terminées reprennent le même chemin, mais en sens inverse. Inutile de dire que cet assemblage partagé entre deux continents ne restera pas sans conséquences lourdes sur les coûts de revient et, donc, sur le prix de vente... Une expérience qui s'avérera donc peu concluante (pour dire le moins) sur le plan commercial et donc les responsables de Cadillac ainsi que de la haute direction de la GM aurait dû se souvenir lorsqu'ils décideront, un peu plus de vingt ans plus tard, de reprendre contact avec le carrossier turinois pour leur demander de dessiner et de réaliser leur nouveau cabriolet de haut de gamme... Mais l'histoire de l'automobile a, toutefois, montré, à de nombreuses reprises, que les constructeurs ont parfois la mémoire d'un poisson rouge !
Pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliqué ? Cette question ou formule pourrait résumer la pensée, ou, à tout le moins, la décision prise par les deux acteurs susmentionnés concernant le processus de production de cette nouvelle décapotable. Manifestement, ces derniers ne se sont rendus qu'après la signature du contrat conclu avec Pininfarina (et donc un peu trop tard pour revenir sur leur décision) qu'en plus d'un océan, il y avait pas moins de 6 880 kilomètres entre Detroit et Turin. Avec toutes les conséquences et donc les contraintes que cela va engendrer sur le plan pratique. Afin de pouvoir acheminer les châssis prélevés sur la chaîne d'assemblage de l'Eldorado et seront transportés non pas par bateau, mais rien moins que par avion (pour des questions évidentes de rapidité de transport). Ce seront ainsi quatre « Jumbos Jets » (autrement dit quatre Boeing 747) qui seront spécialement affrétés et aménagés pour ce transport hors du commun (trois d'entre-eux appartenant à la compagnie Alitalia et le dernier par Lufthansa, la compagnie allemande commandant d'ailleurs un 747 Cargo à Boeing afin de pouvoir assurer les livraisons des voitures), chacun d'entre-eux pouvant accueillir jusqu'à 56 voitures. Une fois parvenus jusqu'à Turin, en Italie, les châssis y reçoivent alors leur carrosserie ainsi que leur motorisation, avant de reprendre l'avion, pour revenir alors à Detroit et y recevoir les dernières finitions*. La presse automobile ne manquera, évidemment pas, d'ironiser* sur cette logistique fort complexe, pour ne pas dire assez aberrante, la surnommant la « plus longue chaîne d'assemblage automobile au monde » !
Inutile sans doute de mentionner que les coûts de transport entre l'Amérique et l'Europe ainsi que le voyage retour ne vont pas rester sans conséquences sur les coûts de revient et donc sur le tarif auquel sera affiché le nouveau cabriolet Cadillac : 54 700 dollars. Un prix de base qui passera à plus de 56 500 $ dès l'année suivante et à plus de 57 000 dollars en 1989, avant d'atteindre un peu plus de 58 600 $ un an plus tard). Une ascension dans les prix qui ne s'arrêtera, toutefois pas, là puisqu'il dépassera, au début du millésime 91, plus de 62 800 dollars, même si le point culminant sera, toutefois, atteint lors de l'année-modèle 92, avec un peu plus de 64 000 $, rien de moins ! Les prix en question correspondant à la version livrée avec le hardtop démontable (livré de série). Si la version « d'entrée de gamme » qui en sera dépourvue et sera incluse au catalogue à partir du millésime 90 sera, certes, vendue à un tarif, moins élevé, l'Allanté ne deviendra pas véritablement un modèle démocratique pour autant. Affichée à un peu plus de 53 000 dollars à son lancement, elle connaîtra, elle aussi, une augmentation dès 1991, passant ainsi à 57 260 $ et atteignant, même, lors de l'année-modèle 1992, près de 58 500 dollars. Ce qui en fait alors rien moins que le modèle le plus cher du catalogue Cadillac. (En comparaison, la limousine Fleetwood, à laquelle elle a ravi ce titre, pourrait presque apparaître comme un modèle bon marché, étant, en effet, affiché à seulement 34 000 dollars). Est-ce à cause de ce prix de vente, qui la place au-dessus d'une Jaguar XJS et presque à égalité avec une Mercedes 560 SL ? Nul doute que celui-ci a dû peser, de manière assez forte, sur l'accueil plutôt tiède que le public comme la presse spécialisée réservera à l'Allanté.
Si le nom d'Allanté n'a aucune signification particulière, il affiche, toutefois, une consonance latine très marquée. Raison pour laquelle son nom sera toujours affiché, aussi bien dans les clips publicitaires diffusés à la télévision que dans les brochures éditées par le constructeur, avec un accent sur le « E » (alors que ceux-ci sont, pourtant, absents de la langue anglaise). Lorsque le projet est mit en chantier, en 1982, c'est, toutefois, le nom de Callisto qui devait lui être attribué (en référence à une nymphe de la mythologie grecque).
En plus de ce premier nom de baptême, le nouveau cabriolet Cadillac était prévu pour être commercialisé trois ans plus tard, c'est-à-dire en 1985. Les choses vont toutefois se compliquer quelque peu avec le partenaire italien. Ce nouveau modèle devant, en effet, bénéficié d'un système multiplexage pour le faisceau électrique et, n'ayant manifestement qu'une confiance limitée envers les gens de Pininfarina au sujet de la confidentialité de ce nouveau système. Les responsables du carrossier turinois leur rétorquant alors qu'ils ne peuvent pas installer sur les voitures des dispositifs dont ils ignorent le fonctionnement. Cette méfiance réciproque qui va se développer entre les deux partenaires, de part et d'autre de l'Atlantique, va durer pendant plusieurs mois. Même si un accord sera finalement trouvé, avec l'envoi en Italie d'une équipe d'ingénieurs venus de Detroit pour apporter leur aide aux hommes du carrossier Pininfarina, cela aura pour effet, bien évidemment, de retarder les travaux sur la conception de la future Cadillac décapotable.
Un retard qui, au final, aura, néanmoins, un avantage non négligeable pour les hommes qui, au sein du bureau d'études de la GM, sont en charge du projet Callisto : celui de leur offrir une prolongation assez bienvenue qui leur permettra de peaufiner le fruit de leurs travaux. Au cours du rallongement du temps de gestation, le projet change de nom, après que le Service Marketing du groupe se soit rendu compte que celui de Callisto présentait une perception assez négative dans certaines langues. Sans doute que la direction de General Motors voyait dans cela une preuve indéniable du progrès apporté par la technologie informatique, mais ce ne sera pas aux hommes de ce même Service Marketing qui sera confiée la mission de trouver la nouvelle appellation qui sera attribuée au futur cabriolet de la marque, mais à... des ordinateurs ! Ceci, parmi une liste comportant, à l'origine, pas moins de... 1 700 noms ! C'est donc bien à des machines que l'on doit ce nom d'Allanté, quasiment « sorti de nulle part ». Un nom sans doute inventé donc de toutes pièces, mais qui n'est, finalement, pas plus mauvais qu'un autre.
Outre le fait que ces lignes n'ont rien de révolutionnaire et ne sont, même, guère empreintes de la moindre véritable originalité. En comparaison avec ses réalisations pour les modèles de la firme de Maranello, c'est peu dire que, dans le cas présent, Pininfarina a, manifestement, quelque peu manqué d'inspiration. Même si, objectivement, le style de l'Allanté n'est pas laid ni véritablement insipide, l'on peine, toutefois, à y reconnaître la « griffe » du carrossier italien, celui-ci restant, en effet, trop proche de celui du coupé Eldorado, dont elle reprend la plateforme. Il est vrai, également, que les Américains avaient spécifié à la direction du carrossier italien qu'ils souhaitaient une ligne « à l'européenne », plus moderne et sobre que celle des modèles traditionnels de la marque. Ce qui a assez logique, étant donné que le cabriolet Allanté était destiné à « barrer la route » aux modèles de grand tourisme européens, de plus en plus prisés par la clientèle d'élite aux Etats-Unis. D'aucuns sont sans doute venus à se dire que si les dirigeants de Cadillac avaient pour objectif d'aboutir à ce résultat, autant se contenter de « décapiter » le coupé Eldorado pour en proposer une version décapotable, cela aurait été plus simple et aurait coûter moins cher, aussi bien au constructeur qu'à la clientèle visée !
Sous le capot de l'Allanté, celle-ci n'est pas vraiment dépaysée, puisque l'on retrouve le classique V8 de 4,1 litres qui équipe alors déjà la plupart des modèles de la marque. Avec une puissance de seulement 172 chevaux pour une cylindrée de 4,1 litres, celui-ci est, toutefois, loin d'être un foudre de guerre. Il n'est toutefois pas le seul dans ce cas : sans doute est-ce faut-il voir là l'une des conséquences des deux crises pétrolières qui ont secoué les années 70, mais la plupart des moteurs américains affiche encore, en cette seconde moitié des années 80, un rapport ch/l assez décevant. Le cabriolet Allanté n'a, certes, pas de véritable sportive et est avant tout destiné à la promenade, notamment le long des routes bordant les plages ensoleillées de la Floride et de la Californie. Néanmoins, avec un poids à vide frôlant la barre des 1 700 kg, force est de constater que les reprises ne sont pas son fort (le magazine Motor Trend ayant, en effet, mesuré qu'il ne lui fallait pas moins de 10;3 secondes pour atteindre le 0 à 100 km/h, contre seulement 6,81 sec pour la Mercedes 560 SL) et que la vitesse maximale de 196 km/h mentionnée dans les brochures apparaît, dès lors, toute théorique. S'il passera, dès l'année suivante, à 4,5 l et 203 ch, les performances ne s'en trouveront pas transcendées pour autant.
Il faudra attendre le début de l'année 1992 pour qu'elle bénéficie finalement du V8 Northstar, doté d'une distribution à 32 soupapes (quatre par cylindres) ainsi qu'à double arbre à cames, qui équipera également les générations contemporaines du coupé Eldorado et de la berline Seville. Considéré comme l'un des meilleurs moteurs de ce genre créés à l'époque, il affiche un rapport puissance / cylindrée nettement meilleur que les deux motorisations précédentes : 295 chevaux pour une cylindrée de 4,6 litres. Un supplément de puissance qui s'accompagnera, aussi, toutefois, aussi, d'un supplément de prix, celui approchant, désormais, de la barre des 60 000 dollars (59 975 $, pour être précis) la version à hardtop disparaissant à la fin du millésime 92, ne laissant donc que le cabriolet à toit souple au catalogue. L'Allanté bénéficiant également, en plus de celui-ci, d'une nouvelle boîte de vitesses ainsi que d'une nouvelle suspension aux roues arrière, d'un système d'amortissement à pilotage électronique assorti d'un dispositif anti-patinage modifié. Cette ultime évolution se reconnaissant également au spoiler monté sous le pare-chocs à l'avant ainsi qu'à l'abandon (sans doute pour des raisons d'économie) des sièges Recaro équipés d'un système de réglage à 10 positions, remplacés, à présent, par des sièges plus conventionnels empuntés au coupé Eldorado.
Même si, en 1987, les travaux de conception du V8 Northstar n'étaient pas encore achevés et qu'il n'aurait donc pas pu équipé l'Allanté au moment où celle-ci avait été commercialisée, nul doute que si tel avait été le cas, elle aurait certainement connu un succès bien meilleur auprès de la clientèle... Malheureusement pour le cabriolet Cadillac, au moment où celui-ci reçut le greffe du moteur Northstar, son échec commercial semblait avoir déjà été « consommé » par le constructeur.
Malheureusement pour la Cadillac Allanté, ce ne sera pas le fait d'avoir été choisie comme Pace Car pour la 76e édition de la course mythique des 500 Miles d'Indianapolis, bien que cela ait toujours représenté un honneur fort convoité par les constructeurs américains, qui pourra changer la donne. En dehors des ceintures et de l'arceau de sécurité (celui-ci étant équipé d'un système d'éclairage), d'une prise d'air modifiée, des écussons aux extrémités des ailes avant et arrière ainsi que de l'inscription « Official Pace Car - 76th Indianapolis 500 », les trois exemplaires qui seront utilisés lors de l'épreuve restaient, toutefois, identiques au modèle de série. Quatre-vingt-huit autres exemplaires furent également réalisés à l'occasion de cet événement, dont une grande partie (58 exemplaires) furent conduites par les pilotes participant à l'épreuve lors des cérémonies d'ouverture ainsi que de clôture de la course.
Si une partie de la presse automobile avait vue dans la greffe du V8 Northstar une « renaissance » pour l'Allanté, ainsi qu'elle l'annonça sur la couverture ainsi que dans les pages de ses publications, ce ne fut, donc, pas du tout le cas. Si General Motors avait choisi celle-ci pour étrenner son nouveau V8, c'était, semble-t-il, uniquement afin de servir, en quelque sorte, de « test à grande échelle en conditions d'utilisation réelles ». S'il s'avérait qu'il présentait, éventuellement, des défauts de conception plus ou moins importants, il valait donc, évidemment, mieux pour Cadillac que ce soit sur un modèle à la carrière déjà condamnée que sur la nouvelle génération de deux des modèles qui représentaient une part essentielle de ses chiffres de ventes.
La 10e génération de la Cadillac Eldorado, présentée en 1979, s'était vue contrainte, suite aux effets des deux chocs pétroliers qui ont secoué les années 70, de subir une cure d'amaigrissement drastique, tant en ce qui concerne ses dimensions extérieures que la cylindrée de ses moteurs. Malgré cela, elle avait conservé certaines des caractéristiques essentielles de sa glorieuse devancière, parmi lesquelles figure la traction avant. Or, comme cette nouvelle « Eldorado de crise » est, désormais, basée sur la même plateforme que la seconde génération de la berline Seville, présentée au même moment, cette dernière se convertira, elle aussi, à la transmission aux roues avant. La direction et les ingénieurs de General Motors voyaient (à juste titre) dans la traction un signe évident de modernité par rapport aux modèles produits jusqu'ici par le constructeur ainsi que par ses concurrents. Toutefois, l'un des effets, inattendus, mais bien concrets du choix de cette architecture technique est que la future Allanté fera un peu « tache » au milieu de rivales dont la plupart (en tout cas, s'agissant des modèles des constructeurs européens) sont restées fidèles à la propulsion.
Au vu des concurrentes qu'elle est amenée à affronter (Jaguar XJS, Mercedes SL R107 et ensuite R129, ainsi que d'autres), il va sans dire que la Cadillac Allanté bénéficie d'un équipement de série pléthorique : chaîne h-fi, intérieur cuir, climatisation, peinture métallisée, jantes en aluminium, sièges Recaro à réglages électriques. Il est vrai qu'aujourd'hui, la plupart de ses équipements font partie de la dotation de série de la plupart des berlines compactes proposées par les constructeurs, qu'ils soient européens ou asiatiques. Mais il faut rappeler que dans la seconde moitié des années 80, en dehors de quelques exceptions notables, ils restaient encore réservés aux modèles de prestige. La seule et unique option qui figure au catalogue à son lancement étant... le téléphone placé dans l'accoudoir central ! Le genre d'équipements qui, à l'époque, prouvait, de manière indéniable, que l'on avait affaire à une voiture de l'élite !
S'agissant du design de l'habitacle en général et celui du tableau de bord en particulier, sans doute afin de mieux se différencier de la concurrence (laquelle restait fidèle, sur ce point, à un très grand classicisme), Cadillac a décidé d'opter pour une instrumentation entièrement digitale. Laquelle était fort à la mode dans les années 80, aux yeux des constructeurs comme d'une grande partie du public (sans doute faut-il y voir l'influence de certaines séries télévisées comme K2000). Même si, à l'image d'autres américaines de la même époque, le style semble avoir été privilégié au détriment de l'ergonomie et, donc, du sens pratique.
En plus d'être considérée comme étant quelque peu « sous-motorisée », l'Allanté n'était pas exempte d'autres défauts non négligeables. A l'image d'une capote à l'étanchéité assez « relative », d'un aspect assez peu esthétique, une fois mise en place est dépourvue, en outre, de tout système électrique pour la déployer et la replier !... Avec un prix de vente comparable à celui d'une Mercedes (qui, elle, même si la firme à l'étoile était, pourtant, réputée pour sa pingrerie en ce qui concerne les équipements de série, en équipait d'office son cabriolet SL). Un hard-top, nettement plus élégant, permettait de transformer le cabriolet Allanté en un élégant coupé et ainsi de pouvoir s'en servir toute l'année. Ce toit démontable pêchait, toutefois, par un poids conséquent (pas moins de 27 kg), qui obligeait d'être deux pour pouvoir le manipuler, sans compter qu'il fallait aussi avoir la place nécessaire dans son garage pour pouvoir le stocker durant la belle saison.
La direction de General Motors avait conscience que, malgré l'immensité du territoire américain, le marché auquel s'adressait l'Allanté était celui d'une clientèle aisée et demeurait donc, dans une certaine mesure, assez limité. (D'autant plus que, comme mentionnée plus haut, elle se montrait nettement plus chère que les autres modèles qui figuraient alors au catalogue). C'est pourquoi les ambitions sur le plan commercial demeuraient plutôt mesurées, la marque espérant atteindre des ventes comprises entre 6 000 et 7 000 exemplaires chaque année... Malheureusement pour Cadillac, jamais l'Allanté n'atteindra ce score et en sera même fort loin !
Dès son entrée au sein du paysage automobile américain, la carrière du cabriolet Allanté aura du plomb dans l'aile. En 1987, un peu plus de 4 650 Allanté sorties des chaînes d'assemblage au cours de cette année-là, même s'il est vrai qu'il s'agissait, avant tout, de constituer des stocks suffisants pour les concessionnaires de la marque sur tout le territoire américain. (Un chiffre auquel il faut ajouter 165 exemplaires de pré-série destinés, principalement, à assurer la promotion du modèle auprès de la presse automobile ainsi que du réseau).
Dès l'année suivante, le soufflé retombe, avec à peine plus de 2 600 voitures qui sortiront de l'usine de Hamtramck, près de Detroit. Autant dire que chez Cadillac, d'aucuns commencent à se ronger les ongles, voire, tout simplement, à se mordre les doigts !... En 1989, les ventes remontent au-dessus de la barre des 3 000 exemplaires vendus cette année-là et atteindront leur « zénith » un an plus tard, avec près de 3 770 Allanté produites en 1990. Chez les responsables de Cadillac, comme au sein de la haute direction de General Motors, ce n'est pas véritablement la joie pour autant. Celles-ci redescendront d'ailleurs dès l'année suivante, d'abord de manière sensible, avec environ un peu plus de 2 500 unités écoulées durant l'année 1991 et se maintiendront à un peu près au même niveau (un peu plus de 2 660 exemplaires) en 1992.
En tout état de cause, au vu des prévisions qui avait été établies, à l'origine, par la marque, cela reste tout à fait insuffisant pour assurer la rentabilité de la production du cabriolet Allanté et, en juillet 1993, après qu'un peu moins de 2 000 ultimes Allanté soient sorties de chaîne, le groupe GM arrête les frais. Au total, il n'y aura eu, en tout et pour tout, que 21 395 exemplaires (dont 4 670 ayant bénéficié, en fin de carrière, du V8 Northstar), très exactement, qui auront été produits durant les six ans et demi de carrière de l'Allanté.
Un échec cuisant qui, en plus d'avoir fait fortement grincer des dents au sein du conseil d'administration de General Motors, a certainement dû engendrer le même effet au sein de ceux des deux compagnies aériennes impliquées dans le projet Allanté. Il faut, en effet, préciser que l'achat des Boeing 747 en version cargo ainsi que leur aménagement pour le transport des châssis Cadillac depuis Detroit jusqu'à Turin (ainsi que le voyage retour aux USA, une fois les carrosseries assemblées sur ceux-ci) fut entièrement fait aux seuls frais d'Alitalia et de Lufthansa. Sans compter qu'une fois que GM eut décidé de mettre fin à l'aventure, il leur faudra à nouveau mettre la main au portefeuille afin de transformer ces quatre 747 pour le transport de marchandises plus « classiques ». Autant dire que pour les deux compagnies aériennes, cette collaboration avec General Motors, leur laissera, pendant longtemps, un goût fort amer. Selon certaines sources, les pertes que celle-ci engendra pour Alitalia contribuera à la fin de la filiale cargo de la compagnie italienne, qui cessera finalement ses activités en 2008.
A noter que si les chiffres de production ci-dessous sont basés sur les données officielles fournies par le constructeur, Pininfarina a également fourni ses propres données... qui diffèrent sensiblement de celles de Cadillac. Selon le carrossier italien, les chiffres de production de l'Allanté aurait été les suivantes : 3 363 exemplaires en 1987, 2 569 unités pour 1988, 3 296 en 1989, 3 101 en 1990, 2 500 en 1991, 1 931 en 1992 et 4 670 en 1993.
Si elle sera également disponible dans la plupart des pays du marché européen (ce qui entraînera un nouveau et troisième voyage par avion, ce qui ne fera, assez logiquement, qu'augmenter la facture pour les acheteurs européens), ses ventes y demeureront extrêmement confidentielles. Dans certains d'entre-eux, le nombre d'Allanté qui y seront vendues neuves se compteront même sur les doigts d'une seule main. Selon certaines sources, il n'y aurait même eu que 5 exemplaires vendus neufs en Belgique et... un seul en France ! (Sur le marché français, elle était affichée pas moins de 600 000 francs, alors qu'une Ferrari Mondial en version Quattrovolve ne coûtait « que » 555 000 F. Une comparaison qui permet, à elle seule, de mieux comprendre pourquoi l'Allanté ne connut absolument aucun succès dans l'Hexagone). Le marché d'exportation sur lequel elle se sera le mieux vendue étant celui du Canada... Même si, là aussi, l'on ne pourra, clairement, pas dire que l'Allanté aura connu le succès, puisque les ventes ne réussiront même pas à atteindre la barre de la centaine d'unités (98, très exactement). Selon les mêmes sources, le nombre total de cabriolets Allanté vendus sur le « Vieux Continent » ne serait que d'environ... 130 exemplaires, en tout et pour tout !
Sans doute l'échec commercial cinglant subi par l'Allanté explique que cette dernière ait disparu sans laisser de descendance au sein de la gamme Cadillac, en tout cas dans l'immédiat. Il faudra, en effet, attendre pas moins de dix ans, jusqu'en 2003, pour revoir un modèle décapotable au sein du catalogue de la division de prestige de la GM. En l'occurrence, la XLR, empreinte du nouveau style « razor-edge » si caractéristique des Cadillac de la première décennie du 21e siècle. La nouvelle venue ne sera, toutefois, pas un cabriolet « classique », c'est-à-dire coiffé d'une capote souple, mais un coupé-cabriolet, à toit rétractable. Un concept sans doute inspiré de celui de la première génération de la Mercedes SLK, commercialisée en 1996 et à qui a sans doute contribué à lancer cette nouvelle mode.
Malheureusement, celle-ci n'aura pas plus de chance que l'Allanté et se vendra même encore moins bien que cette dernière, puisqu'il n'en sera produit qu'un peu plus de 15 400 exemplaires jusqu'en 2009. Jusqu'au milieu des années 70, le public américain n'aurait jamais pu imaginer le catalogue Cadillac sans, au moins, un modèle décapotable et si le cabriolet fut donc, pendant très longtemps, un incontournable de la gamme Cadillac, à toutes les époques... Toutefois, il semble bien qu'aujourd'hui, et depuis un certain temps déjà, « l'histoire d'amour » entre Cadillac et les voitures décapotables soit, bel et bien, rompue.
Thomas URBAN
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